De la problématique de la place des femmes dans l’espace public à la revendication de leur expertise d’usage pour de nouveaux aménagements : les habitantes du quartier de la Belle de mai à Marseille (13) ont été accompagnées par le centre social Léo Lagrange pour développer leur pouvoir d’agir. Identifier, analyser, se réapproprier l’espace et être force de proposition pour animer leur lieu de vie : Christophe Roedelsperger, directeur de l’équipement de proximité, nous raconte les différentes étapes, depuis 2018, pour la mobilisation des habitantes et Douja, usagère, témoigne.
Identification, dénonciation puis revendication : les femmes veulent leur place dans l’espace public
Entre 2018 et 2020, le centre social Léo a accompagné ses usagères à identifier les raisons pour lesquelles elles ne trouvaient pas leur place dans l’espace public et à faire entendre leurs revendications. Christophe explique : « nous avons monté avec elles plusieurs projets dont une exposition photo pour dénoncer leur sentiment d’insécurité ou de malaise puis elles ont identifié les lieux à faire évoluer. Par exemple, le parvis de l’école ne dispose d’aucun aménagement pour se retrouver en toute convivialité, la station de lavage des voitures est occupée par un public quasi exclusivement masculin, tout comme le bar sur la place du quartier. Les habitantes ont aménagé temporairement ces espaces afin qu’ils leur correspondent ! »
Après cette 1ère phase d’analyse et de dénonciation, sont arrivées « les embellisseuses » ! Les habitantes se sont appropriées leur quartier en investissant dans sa végétalisation ! Christophe explique que le rôle de l’équipe du centre social a été d’accompagner cette initiative et de valoriser le pouvoir d’agir des habitantes mobilisées.
L’objectif du centre social était d’accompagner ce collectif nommé « Passer’elles » à se structurer en association, afin de prendre son envol. La crise sanitaire a mis un temps d’arrêt à cette dynamique, ce qui a demandé de remobiliser le groupe vers de nouveaux projets avec l’arrivée de nouvelles et nouveaux membres dans un contexte devenu différent.
Faire vivre les valeurs d’égalité et de solidarité, animer le quartier
De nouvelles usagères ont été force de proposition en revendiquant leur place dans l’espace public, en 2023 : « indépendance de la femme, égalité femmes-hommes : ces thèmes, parmi d’autres, étaient au cœur de leurs messages qui ont fait l’objet d’une exposition vivante disséminée dans le quartier pendant l’été 2023 » complète Christophe. Et en novembre de la même année, à l’occasion du festival des solidarités, une grande bâche a été installée en extérieur afin que tous les habitants inscrivent leur revendication.
2024 : nouvelle étape de l’implication des habitantes avec leur mobilisation pour l’animation de l’espace public. Récolte de jouets, soupe solidaire, maraude : la solidarité est l’affaire de toutes et tous ! Christophe met en avant le chemin parcouru par les habitantes : « progressivement, elles s’approprient la démarche projet et deviennent de plus en plus force de proposition, mobilisation et revendication ! ».
La mission des équipes Léo : développer le pouvoir d’agir des habitant.es
Cette évolution démontre pleinement la mission des structures de proximité Léo Lagrange : développer le pouvoir d’agir des habitants, les accompagner à s’exprimer et à se mobiliser pour changer leur environnement, créer de nouvelles modalités de vivre ensemble. Le directeur du centre social abonde : « nous devons partir du vécu des habitants, de leurs revendications pour améliorer leur cadre de vie ou répondre à leurs besoins, car c’est eux qui détiennent l’expertise d’usage de leur quartier. Notre rôle est de les aider à acquérir les codes pour se faire entendre, pour trouver les bons contacts et construire leur projet. »
A la Belle de mai comme dans de très nombreux quartiers, ce sont les femmes qui se mobilisent pour dénoncer et revendiquer. La capacité de mobilisation dans ces structures repose principalement sur les femmes. Dans les expériences relatées par Christophe, 95% des personnes impliquées sont des habitantes.
Interview de Douja, habitante et usagère du centre social la Belle de mai
Pourquoi as-tu commencé puis continué ton engagement dans le collectif d’habitants ?
Au début, j’étais une femme isolée qui n’avait pas beaucoup d’informations. J’ai découvert le centre social qui m’a donné confiance en moi. J’avais peur d’être incomprise en raison de mon manque de maîtrise du Français. Le non jugement du centre social et de l’animatrice famille m’a donné confiance et m’a permis de repousser mes limites. J’ai compris que je n’étais pas qu’une « simple maman » et « une étrangère ».
J’ai appris et acquis des connaissances. Compris et appris à connaître la culture française.
J’ai hâte de retrouver mes amies du groupe projet sur le centre social. Pour moi c’est une rentrée scolaire.
Tout ce que l’on trouve au groupe projet du centre social, c’est une chance pour nous les femmes.
A travers ces rencontres, je souhaite découvrir encore plus et aller plus loin. Je connais de nouvelles personnes, de nouvelles associations et structures. C’est une richesse pour moi et mes enfants. C’est un cadre de partage et d’échange pour venir en soutien des personnes qui sont en difficulté à Marseille.
Quelle est la réalisation ou le projet dont tu es le plus fière ?
Tout projet pour moi est une fierté. A chaque projet on donne une part de nous. Faire découvrir notre quartier, c’est très important. On dit que notre quartier est le plus pauvre de France et d’Europe. Ce n’est pas vrai… Notre quartier est très riche de ses habitants, de leurs engagements et cultures. Nous faisons avancer notre quartier.
Nous nous investissons pour un avenir meilleur pour notre quartier et ses habitants. La solidarité et l’amitié présentes au sein de notre quartier ne se retrouvent pas ailleurs.
Quel message voudrais-tu transmettre aux habitants des quartiers pour les inciter à s’engager aussi ?
Il ne faut pas avoir peur de ses difficultés. Chaque personnalité et caractère sont une richesse. Les faiblesses de certaines vont apporter aux autres pour se surpasser.
C’est ce qui fait la solidarité sur les quartiers et le centre social… Chaque personne qui vient au centre social et qui rencontre du monde évolue et apprend des autres et de sa culture.
On a toutes besoin des unes et des autres. Venez dans les centre sociaux, ils facilitent les rencontres et permettent la construction d’une grande famille.
Pour garder le contact :
Christophe Roedelsperger
Directeur du centre social la Belle de mai
christophe.roedelsperger@leolagrange.org