La triste actualité afghane qui voit le retour des talibans au pouvoir a relancé l’urgence et la nécessité de l’accueil des réfugié.e.s. Pour prendre la mesure des épopées traversées par celles et ceux qui sont contraints de fuir leur pays, nous avons souhaité donner la parole à Ashmatullah, 23 ans, arrivé en France en avril 2017 et qui a fréquenté le CADA de Saint-Beauzire (géré par Léo Lagrange). Il raconte avec calme, modestie et précision ce qu’il a enduré pendant ses trois années d’errance.
Ashmatullah ne dira pas pourquoi il a dû quitter l’Afghanistan, par crainte pour sa famille encore là-bas. Lorsqu’il a fui son pays, en 2014, il n’était encore qu’un adolescent. Il était adolescent mais n’allait pas à l’école, ne suivait aucune formation, il restait chez lui, avec ses parents. La faute à la guerre. La faute aux semeurs de haine.
Bien qu’accompagné par son frère, ils n’ont pas pu finir ensemble leur long périple. Comment passer les frontières, à travers les neiges, dans les soutes des bateaux et en se cachant des contrôles, avec de jeunes enfants. Les enfants du frère d’Ashmatullah.
Tout d’abord l’Iran : Ashmatullah et ses proches parviennent à sortir d’Afghanistan par l’Iran, comme nombre d’entre eux. Mais il n’est pas simple ensuite de quitter le pays des Mollahs et de trouver un passeur. Ils restent deux ans sur place, le jeune homme travaille et ils trouvent enfin le passage pour la Turquie : « nous étions obligés de passer par la montagne car il y avait des contrôles. Nous étions 300 avec un passeur pour nous guider, en pleine nuit, dans un mètre de neige. 300 hommes, femmes et enfants ».
Des passeurs, un bateau en plastique
A chaque ville turque, un nouveau passeur. A chaque passeur, les réfugié.e.s donnent de l’argent, « nous n’avions plus assez d’argent pour l’Angleterre, alors nous avons cherché un passeur avec un bateau pour la Grèce. » Deux mois d’errance à travers la Turquie pour se retrouver à 60 sur un bateau en plastique.
Parvenu.e.s en Grèce, il.elle.s partent à la recherche de l’autorisation de circuler pour se rendre jusqu’à Athènes en ferry. « Je n’avais plus d’argent, nous avions tout perdu. Nous sommes restés sur place quelques mois et j’ai trouvé un travail non-déclaré dans une boulangerie. J’ai gagné un peu d’argent pour continuer le chemin et j’ai aussi pu en envoyer à ma famille restée en Afghanistan. »
Ashmatullah trouve un passeur depuis Patra en Grèce pour l’Italie. Mais il doit se faufiler à bord d’un camion qui embarquera dans un ferry : « je suis resté un mois à Patra, car je ne parvenais pas à rester dans un camion, il y avait beaucoup de contrôles. Lorsque j’ai enfin pu me cacher dans un camion, je suis resté deux jours sans bouger, sans manger, sans boire, sans aller aux toilettes. »
Quelle que soit la distance, « j’irai à pied »
Le camion débarque en Italie et file sur une autoroute sans s’arrêter pendant cinq heures. A sa première halte sur une aire de repos, Ashmatullah descend : « il faisait très froid, j’étais loin de toute ville, au milieu de nulle part. J’ai passé la nuit dans les toilettes sur place. Au matin, j’ai demandé à un employé de l’aire de repos de m’indiquer la première ville. Il m’a répondu que c’était trop loin. J’ai insisté, j’irai à pied, donnez-moi juste la direction. »
Ashmatullah a marché pendant plusieurs heures, a pris plusieurs trains à travers l’Italie, en passant par Naples, puis Rome. Il retrouve à la capitale italienne ses compagnons d’infortune « j’ai retrouvé des amis que j’avais connus en Grèce, qui avait pris le même itinéraire que moi. J’étais content de retrouver des amis. »
L’arrivée en France a été compliquée, « tous les chemins sont bloqués, il y a des contrôles de partout. Je suis resté un mois à la frontière, c’était très difficile de trouver où dormir. La nuit on avait très froid alors on marchait. J’ai essayé dix fois de passer avant de parvenir enfin en France. »
La faim, le froid, la recherche
Arrivé à Marseille, Ashmatullah ne sait pas où aller. « J’avais très faim. J’ai vu une distribution alimentaire mais je n’osais pas y aller, je ne savais pas si je pouvais. Quelqu’un m’a aperçu et m’a appelé, m’a donné un repas. »
Un soir, le jeune homme rencontre un compatriote qui l’invite chez lui pour la nuit. Le lendemain il se rend à la gare pour trouver un train pour Paris, contrôle de police, il est arrêté et placé en garde à vue toute la journée. Finalement relâché, il ne sait pas où il est, loin de la gare.
Paris et la Tour Eiffel. Ashmatullah arrive à la ville lumière mais ignore où il doit se rendre. Est-ce qu’on réalise sa demande d’asile à la tour Eiffel ? Il rencontre un afghan qui lui déconseille de s’y rendre et l’accompagne pour sa demande d’asile. « Là-bas j’ai retrouvé beaucoup d’amis. C’était très difficile d’avoir une place en hébergement, j’ai dormi un mois dehors. J’ai ensuite été envoyé à Saint-Beauzire, c’était le mois de mai 2017 ».
Le CADA, les bénévoles, c’est comme une famille
Trois mois d’attente et le jeune homme obtient son statut de réfugié : « j’ai ensuite pu commencer les cours de français. J’ai trouvé un travail grâce aux bénévoles du CADA, en avril 2018, dans les espaces verts. » Ashmatullah est resté 18 mois au CADA « le CADA m’a toujours aidé, il y a beaucoup de bénévoles, beaucoup de personnes qui veulent nous aider. C’est comme une famille, pour nous qui n’avons pas notre famille auprès de nous. »
En septembre 2018, il emménage dans son propre logement. Son employeur à Brioude est très satisfait de lui, il aimerait qu’il passe son permis de conduire. Ashamtullah craint de ne pas y parvenir à cause de son niveau en français : « je me suis quand même inscrit, je me suis bagarré avec le code ! Mais je n’ai pas lâché et j’ai eu mon permis de conduire ! ».
Depuis janvier 2021, le professionnel en espaces verts est devenu chef d’équipe et a également obtenu son permis EB afin de tracter une remorque. Il joue au football dans un club à Auzon. Il est heureux de sa vie à Brioude : un emploi, une voiture, une maison. Mais sa famille lui manque. Sa famille restée au pays et qui n’a pas pu le suivre.
Poursuivre, ne pas lâcher « faut se bagarrer »
Le jeune homme porte un regard plein d’abnégation et de persévérance sur la vie : « Faut pas lâcher, il faut toujours se bagarrer pour parvenir à ce qu’on souhaite. Il faut aller de l’avant et petit à petit on y arrive. C’est ce que j’ai fait avec le français. Patience et courage. »