Participer à un projet collectif artistique, apprendre un langage musical et collaborer avec des musiciens professionnels : même entre les 4 murs d’un établissement pénitentiaire, la pratique artistique et culturelle permet de repousser ses limites et de se découvrir soi-même artiste. Mardi 10 octobre dernier, des personnes détenues ont restitué leur création de soundpainting devant plus de 2000 personnes à la philharmonie de Paris.
Le soundpainting : un langage gestuel de création artistique et musicale
Le sound painting est un langage gestuel de création artistique multidisciplinaire qui permet, sans connaissance musicale, de créer une pièce mêlant gestes, textes, percussions et musique.
Cet atelier de soundpainting est proposé par la coordination culturelle du centre pénitentiaire de Fresnes au sein de la maison d’arrêt depuis plusieurs années. Les personnes détenues plébiscitent cet atelier, les partenaires impliqués sont donc chaque année à nouveau sollicités !
Julie Martigny, comédienne et metteuse en scène ainsi que Violaine Daly-de Souqual, responsable des projets culturels de l’orchestre national d’Île-de-France (ONIDF), co-animent cette année encore le projet soundpainting, à la demande de Nelly Kiener, coordonnatrice culturelle à Fresnes et salariée Léo Lagrange.
Des ateliers d’écriture et d’apprentissage des signes du soundpainting
24 heures d’atelier se sont échelonnées de fin août à début octobre, alternant séances d’écriture, apprentissage du langage du soundpainting et répétitions avec deux musiciens de l’ONDIF : une violoniste et un bassoniste.
Si le projet est prévu pour 10 à 12 personnes détenues, les contraintes liées au monde carcéral et au fonctionnement d’une maison d’arrêt, les personnes incarcérées étant souvent de passage, le projet s’est terminé avec 4 participants aux répétitions et 3 finalement sur scène le 10 octobre.
Lors de l’une des dernières répétitions, lundi 2 octobre, Julie propose de « réviser les signes ». En effet, le soundpainting fonctionne comme un langage : lorsque la metteuse en scène réalise un signe ou un enchaînement de signes, les artistes face à elle savent ce qu’ils doivent entreprendre ! Ils ont répété pendant de nombreuses séances et ont créé un texte, fil rouge à leur pièce.
Un récit à plusieurs voix
« Cette histoire que nous vous racontons, c’est la mienne… » commence ainsi le récit, lu à voix haute par l’un des participants. Il poursuit : « mais elle pourrait tout aussi bien être…la tienne », les autres enchaînent, guidés par Julie « la vôtre », « la leur », « la nôtre », « la mienne ». Leur pièce s’intitule « Autoportrait collectif » et est constituée d’extraits de récits de vie de chacun des artistes amateurs.
L’auditoire comprend très vite : il est amené à s’identifier aux récitants, à se projeter et à envisager la multitude des parcours de vie possibles, esquissés, à peine effleurés.
Marie-Anne, violoniste, est présente ce jour-là, elle ponctue les gestes et les paroles de ses coups d’archet et accompagne le récit. Les percussions sont aussi de la partie : chacun s’empare d’un instrument, improvise, monte en intensité sur les consignes de Julie puis ralentit jusqu’à ce qu’elle indique la fin qui approche. Il.elles se dirigent alors tous vers la sortie, non pas du lieu mais de la scène imaginée !
Visite de la cité de la musique et de la philharmonie
Mercredi 10 octobre, c’est le grand jour ! Les 3 personnes détenues qui ont participé au projet ont bénéficié d’une autorisation de sortie pour visiter la cité de la musique, la philharmonie et restituer leur œuvre en première partie d’un concert de l’ONDIF.
Après la découverte d’une installation audiovisuelle sur Zinedine Zidane, dans les murs de la philharmonie, les 3 personnes détenues, accompagnées de Julie, Violaine, Nelly, Solenn, son assistante, Emma-Louise volontaire en service civique, une conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation et un surveillant pénitentiaire, ont parcouru l’exposition de la cité de la musique consacrée aux instruments de musique à travers les siècles.
Puis est arrivée l’heure de la répétition sur la scène de la philharmonie ! Le groupe prend alors la mesure de la salle de 2500 sièges et commence à exprimer un peu d’appréhension !
De retour dans leur loge, Julie rassure et remobilise tout le monde : « ce qui nous amène ce soir, c’est le message qu’on veut faire passer : on existe, on n’est pas différent de vous, il n’y a pas vous d’un côté et nous de l’autre. Ce que nous sommes en train de vivre, vous pourriez aussi le vivre. » Violaine poursuit : « Vous êtes parvenus jusque-là, vous ne pouvez qu’être fiers de vous ! ». L’un des participants, impressionné par le challenge qui l’attend, répond : « j’ai fait un mois d’activité avec vous, c’était sympa, il fallait que je vienne ! » La metteuse en scène et Violaine, qui montent sur scène avec les artistes amateurs, rappellent qu’elles ont aussi le trac !
Les proches des personnes détenues invités pour la soirée
L’heure du dîner approche, c’est aussi l’un des temps forts de la soirée : chaque personne détenue pouvait inviter 2 proches à la rejoindre pour se restaurer dans le foyer des artistes avant le concert puis assister à la représentation.
Mère, sœur, conjointe, ami : les retrouvailles sont émouvantes et tout en pudeur, car il.elles sont bien entouré.es !
Une demie-heure avant de monter sur scène, Julie, Violaine et les 3 participants au projet se retrouvent seul.es dans la loge pour se concentrer et procéder à des exercices de respiration pour contenir la pression ! Le reste du groupe prend place dans la grande salle de la philharmonie, les proches sont impatients de découvrir leur conjoint, fils, ami, frère, sur scène, face à ces quelques 2000 spectateur.rices !
Plus de 2000 spectateurs pour cet autoportrait collectif
Une voix off introduit le spectacle de soundpainting en présentant le partenariat entre le service pénitentiaire d’insertion et de probation de Fresnes ainsi que l’ONDIF. Une page est même consacrée à ce projet au début du programme de la soirée, distribué en version papier à tou.tes les spectateur.rices.
Le silence arrive enfin, rapidement troublé par les premières notes de violon et de basson, puis par les pas des artistes amateurs qui entrent sur scène, en claquant des doigts et se frappant le cœur.
Les 15 minutes de cet « autoportrait collectif » semblent passer en quelques respirations, les proches filment, prennent des photos, sont attentifs à chaque seconde, chaque mot et chaque geste des artistes sur scène. Des applaudissements nourris accompagnent leur sortie et consacrent leur création artistique.
La création artistique pour ouvrir de nouveaux horizons
A quoi tient la réussite et la magie d’un moment suspendu de création artistique ? Pour Nelly : « le soundpainting est accessible à tous et permet un apprentissage assez rapide. J’observe qu’il se créé une certaine alchimie qui fédère le groupe, car avec les signes du soundpainting, les artistes accèdent à un langage qu’ils sont les seuls à maîtriser. De plus, des musiciens viennent en détention pour créer cette œuvre collective avec eux. C’est très enthousiasmant et valorisant pour les personnes détenues.»
La création artistique ouvre une parenthèse, permet de se découvrir autrement, de rencontrer des personnes d’autres environnements et de s’évader de son quotidien. Elle tisse aussi, peut-être, des lignes de perspective jamais envisagées avant. Ouvrir de nouveaux horizons, tel est l’un des objectifs de la pratique artistique et culturelle, en tout lieu. Y compris en milieu carcéral.
Pour garder le contact :
Nelly Kiener
Coordonnatrice culturelle à la maison d’arrêt de Fresnes
nelly.kiener@justice.fr
Patricia Prestat
Déléguée territoriale à l’animation
patricia.prestat@leolagrange.org