Le 28 mai dernier, la démarche participative « Jeunesses : le droit au bonheur » clôturait son premier cycle de webinaires mensuels initié en janvier 2024. Ce sont les indicateurs alternatifs du bien-être qui ont fait l’objet de ce dernier rendez-vous virtuel avec les interventions de Romina Boardini (OCDE) et Fiona Ottaviani (Grenoble Ecole de Management), pour comprendre les enjeux de mesures alternatives (et concrètes) du bien-être des citoyen.nes, par des indicateurs qui peuvent également être des leviers de changement.
À l’échelle internationale : le bien-être sociétal au cœur de nouvelles politiques publiques
On a coutume de classer les pays du monde selon le « niveau de développement » ou la valeur de leur Produit Intérieur Brut (PIB), moins de s’intéresser globalement au bien-être social des individus. Au sein de l’OCDE, le centre de recherche WISE (centre sur le bien-être, l’inclusion, la soutenabilité et l’égalité des chances) est en charge de « mesurer et d’analyser le bien-être sociétal à l’aide d’indicateurs alternatifs au PIB ». En se basant sur des données statistiques (plus de 11 critères pour une centaine d’indicateurs par rapport) récoltées dans une multiplicité de pays, WISE propose de « mettre ces données en actions », comme l’explique sa directrice Romina Boardini, en définissant et implémentant les politiques publiques au regard des nouveaux défis économiques, environnementaux et sociétaux. Depuis les années 2000, on a vu se multiplier dans de nombreux pays des prises de décisions directement liées à la photographie sociale qu’offrent ces indicateurs alternatifs, « notamment pour définir des lois de finances et des décisions budgétaires » note Romina Boardini.
Porter une attention toute particulière à ces données autres que le simple PIB permettrait donc de mieux analyser un problème (solitude, pression sociale ou scolaire dans le cas des jeunesses), ainsi que de mesurer concrètement les résultats de tentatives de résolution par les politiques publiques. Le Centre WISE offre aux pays une base de données statistiques nécessaire à la bonne lecture du bien-être sociétal dans différents territoires, ainsi qu’un terrain de discussion et d’échange pour travailler ensemble à l’amélioration des cadres de vie au sens social, et économique !
Pour conclure son intervention, Romina Boardini projette ce graphique montrant à quel point la vie des individus (cf 1. Resultats) s’établit sur différents champs sociaux et est également impactée par les politiques publiques (environnementales, sanitaires, éducatives, logement et politique familiale). « Il faut avoir une intervention sur chacune de ces politiques, mais également les intégrer, les coordonner, les faire communiquer, » explique Romina Boardini.
À l’échelle locale : des indicateurs de bien-être soutenable (IBEST)
Fiona Ottaviani est professeure associée à Grenoble Ecole de Management et co-titulaire de la chaire Territoire en transitions. Elle travaille notamment sur les co-bénéfices, qui vont converger différents intérêts pour les individus et participent à une synergie positive (par exemple comment s’impliquer dans sa vie de quartier améliore non seulement l’estime de soi mais également le lieu de vie, les relations sociales, etc.).
Le premier des points soulevés par Fiona Ottaviani concerne la performativité des indicateurs de bien-vivre : « ils ne font pas que de refléter le monde, ils le transforment ». En se focalisant sur certaines données telles que le revenu moyen des foyers, le taux de chômage, de RSA ou encore de délinquance, on ne regarde pas d’autres champs de vie tout aussi parlant, comme les interactions sociales, l’accès à la santé, ou la vie associative d’un territoire. Cette focalisation peut participer à la vision négative de certains lieux de vie, alors même que ces métriques ne sont pas toujours représentatives du vécu des habitant·es. « On a beaucoup de données sur l’offre, le service, mais très peu sur le vécu, sur l’accès » commente Fiona Ottaviani.
Il convient alors d’« éclairer des portions invisibles des statistiques publiques » : cette mise en lumière est notamment permise par l’émergence de courants de pensée ou de nouveaux travaux statistiques portés par des institutions telles que l’OCDE. « Il y a une effervescence de réflexions sur le sujet du bien-vivre à différentes échelles, qui pointent les limites de l’observation traditionnelle de la richesse » note Fiona Ottaviani.
Pour illustrer l’échelle locale, notre invitée présente la démarche IBEST (Indicateurs de bien-être soutenable territorialisés), qui part du constat d’invisibilité de données indicatives de bien-être, en conviant une multiplicité de métiers (scientifiques, sociologues, urbanistes, professionnel·les des politiques publiques), et en donnant du poids à la participation de la population et l’expression citoyenne. Cette démarche participative a dégagé 8 dimensions principales (et interdépendantes) du bien-vivre soutenable :
Ces dimensions permettent d’initier des enquêtes à rebours des méthodologies traditionnelles : les résultats de ces enquêtes élargissent les réflexions et les horizons en termes d’action publique. Elles révèlent par exemple une confiance accrue des jeunes grenoblois dans le système scolaire, ou une envie de meilleure répartition de leurs temps. « À travers ce spectre, on voit un tout autre monde », commente Benjamin Mauduit, responsable du plaidoyer et des relations extérieures de la Fédération Léo Lagrange, qui anime ce webinaire.
À la Fédération Léo Lagrange : des indicateurs alternatifs tout aussi nécessaires
Éléonore Lavoine, chargée de recherche en utilité sociale et responsable de la vie associative à la Fédération Léo Lagrange, également doctorante dont la thèse est dirigée par Fiona Ottaviani, a pris part aux échanges. En tant qu’organisation d’éducation populaire, la Fédération porte toute son attention sur l’impact de ses actions sur ses publics et les réalités des territoires sur lesquels ses professionnel·les exercent. « On essaie de conduire des expérimentations d’évaluation où à la fois on éclaire des zones d’ombre, et on montre qu’on n’est pas seulement des gestionnaires d’espace mais bien que par nos actions, on contribue à l’utilité sociale » explique Eléonore. La participation des familles, des jeunes et des partenaires sociaux est au cœur de notre démarche d’évaluation. Le bien-vivre est réfléchi et construit par toutes et tous, pour que les réponses apportées soient le plus cohérentes possibles avec les besoins des territoires. Dans le cadre des missions périscolaires par exemple, des animations donnent toute la parole aux enfants qui fréquentent les structures et permettent de faire émerger des préoccupations ou idées qui n’auraient pas vu le jour autrement.
Au-delà de la réflexion, il y a l’envie d’agir ! La Fédération Léo Lagrange tient à proposer du concret et du réalisable aux publics et partenaires avec lesquelles elle travaille, en animation, formation et petite enfance !