Le sport tient une place particulière dans l’histoire de la Fédération Léo Lagrange (FLL). L’homme politique Léo Lagrange était sous-secrétaire d’Etat aux sports et à l’organisation des loisirs. Quelle est aujourd’hui la place du sport dans notre mouvement ?
Le sport et les activités physiques restent majoritairement présents au sein du réseau des associations et clubs affiliés, et ce historiquement. Les clubs Léo Lagrange étaient, à leur création, et demeurent des lieux de vie qui permettent de se retrouver autour d’une activité, qui est, le plus souvent sportive. Le sport, au sein du réseau Léo Lagrange, est organisé depuis 1985 au sein d’une fédération sportive, l’Union nationale sportive Léo Lagrange (UNSLL), affiliée à la FLL et opérateur sportif du réseau.
Par ailleurs, notre conception des activités physiques et sportives héritée de l’éducation populaire, nous permet d’irriguer l’ensemble du réseau avec la mise en place de programmes d’éducation, de santé et d’inclusion par le sport.
Dans son discours à la jeunesse du 10 juin 1936, à une époque où les équipements sportifs n’étaient pas si nombreux et si accessibles, Léo Lagrange exposait deux conceptions du sport : d’une part, le sport spectacle, pratique de sports restreints à un nombre relativement petit de privilégiés (…) qui a souvent pour seul but la création du grand champion et d’autre part, une vision tournée vers la démocratisation de la pratique sportive pour permettre à chacun de trouver dans le loisir « la joie de vivre et le sens de leur dignité ». Ces deux conceptions sont-elles toujours d’actualité aujourd’hui selon vous ?
Oui, avec l’organisation des prochains jeux olympiques et paralympiques (JOP), nous sommes au cœur de ces deux conceptions. D’un côté, des compétitions de haut niveau regroupant des athlètes qui se surpasseront pour nous offrir sans aucun doute de magnifiques moments et de magnifiques émotions, et de l’autre le sport, tel que nous le pratiquons à Léo : une pratique sportive et physique ouverte au plus grand nombre.
L’une et l’autre ont leur raison d’exister. J’ai infiniment de respect pour les athlètes de haut niveau, soumis à de nombreux sacrifices et qui d’ailleurs, à l’exception des quelques sportifs professionnels très médiatisés, ne sont pas souvent considérés à la hauteur de leurs efforts.
Ce qui est compliqué aujourd’hui, c’est de faire valoir l’activité physique et sportive, telle que nous la concevons, c’est à dire, profondément humaine, qui engage le corps comme l’esprit et les interactions sociales.
Presqu’un siècle après la déclaration de Léo Lagrange, on constate que la classification des pratiques (loisir d’une part et compétition d’autre part) et des pratiquants persiste, signe que nous n’avons pas beaucoup avancé pour nous approprier le sport au même titre que d’autres compétences dans le cadre de la construction de l’individu.
En 2015, l’Union nationale sportive Léo Lagrange avait soutenu la candidature de Paris pour les JOP de 2024, « à la condition qu’ils soient partagés et citoyens ». A quelques semaines de l’ouverture des jeux, l’organisation des JOP ont-ils de votre point de vue répondu à cette exigence et dans quelles proportions ?
L’UNSLL ainsi que la FLL avaient en effet soutenu la candidature des JOP mais en posant une condition primordiale à nos yeux : qu’ils favorisent durablement, en amont et en aval, la cohésion sociale dans notre pays. Quoi de plus à même que l’olympisme pour porter les valeurs du vivre ensemble. C’est ce que nous entendions avec la formule citée. Nous imaginions des jeux vecteurs de l’esprit sportif, celui‐là même qui se construit dans la durée et le partage.
Nous demandions que les jeux soient porteurs d’emplois durables, de qualification professionnelle, comprenant des clauses d’insertion, notamment pour les territoires et les publics les plus démunis.
Nous n’y sommes pas tout à fait…. Il ne suffit pas d’implanter des infrastructures dans des quartiers dits sensibles pour réaliser des jeux partagés. Je constate que les habitants de ces quartiers, dans la majorité des cas, ne sont que spectateurs : ils assistent à la transformation de leur quartier, ils n’en sont pas acteurs.
Dans cette période où la cohésion sociale est mise à mal, c’est une occasion manquée de se rassembler et de s’impliquer dans un projet de vie qui concerne en premier lieu les citoyens : je le regrette. Nul doute que ces jeux seront une fête, mais qu’en sera-t-il du sport après les JOP ? Celui qui nous intéresse, celui qui fédère les énergies, qui concourt à l’épanouissement de l’être humain ? Permettront-ils la réalisation d’une politique ambitieuse en matière de développement d’activités physiques et sportives pour l’ensemble de nos concitoyens ? La question reste entière.
Pensez-vous que les JO peuvent contribuer à faire de la pratique sportive, pour les générations futures, « un vecteur de plaisir, de prise de conscience de soi et des autres, et enfin de paix » ? Et si oui, comment ?
Les JOP contribuent à faire parler du sport, c’est utile. Mais de quel sport parle-t-on ?
Du sport de compétition et des fédérations olympiques, qui seules sont admises à concourir et de quelques personnalités certes emblématiques et porteuses de valeurs, appartenant à un cercle restreint.
Pour ce qui nous concerne, nous avons fait le choix de nous emparer de ces Jeux pour rappeler que l’activité physique fait partie de l’expression et de l’équilibre de l’être humain. On sépare trop souvent le corps et le cerveau, alors qu’ils sont en relation permanente.
Dans le domaine de l’éducation, un enfant en mouvement est un enfant qui apprend mieux, qui se construit plus sereinement. On sait aujourd’hui que la baisse des capacités physiques observées chez les enfants va de pair avec la baisse de leurs capacités cognitives.
L’école comme les associations sportives ont un rôle éminemment important à jouer sur ce plan et doivent collaborer. Il est important aujourd’hui de remettre la jeunesse en mouvement, certes, mais pas n’importe comment. La dimension éducative doit occuper une place prépondérante mais rester suffisamment agile pour répondre aux besoins qui évoluent rapidement. C’est d’ailleurs ce qu’avait bien compris Léo Lagrange : sous le Front Populaire, le sport participe alors de façon majeure à la transformation sociale.
Nous partageons toujours et soutenons cette vision. C’est le choix que nous faisons en nous inscrivant dans l’héritage des JOP, avec, par exemple, l’action que nous menons avec la ville de l’Ile-Saint-Denis, dans la mise en place d’une éco-station, un lieu dédié aux activités physiques et sportives en bord de Seine, et qui sera dévolu aux habitants de la ville, quel que soit leur âge et leurs capacités physiques.
Nous devons absolument aujourd’hui nous mobiliser et profiter de l’éclairage des JOP pour changer le regard que porte notre société sur le rapport au corps. S’approprier son corps, lui permettre de s’exprimer, c’est prendre conscience de soi et des autres, mais aussi à terme, de son environnement. C’est mieux comprendre la société, y trouver sa place, et communiquer de façon plus réfléchie, apaisée. C’est ce que nous mettons en pratique avec nos programmes d’insertion par le sport….
Quelles ont été les approches de la Fédération Léo Lagrange et de l’Union nationale sportive Léo Lagrange dans l’accompagnement de cet événement ?
Rappeler et mettre en œuvre au quotidien les valeurs humanistes de l’olympisme. Au-delà de la communication médiatique, focalisée essentiellement sur l’aspect compétitif de haut niveau de ces jeux, il nous est apparu nécessaire de faire valoir le côté à la fois ludique et formateur d’une activité physique partagée. Le terme accompagnement est bien choisi : pour l’Union sportive, pratiquer une activité physique et sportive, ne s’inscrit pas dans une démarche consommatrice ou occupationnelle, mais dans une démarche qui inclut les participants en les rendant actifs, d’où l’importance de la mise en œuvre de projets.
C’est cet objectif que nous poursuivons dans toutes les activités que nous avons organisées au sein du réseau Léo, qu’il s’agisse de pratiques diverses régulières, de rencontres multisports ou de programmes d’éducation par le sport.
D’autre part, nous travaillons avec I’Agence nationale du sport, dans le cadre de projets à vocation éducative, pour accompagner des publics dits « populaires » aux JOP auxquels nous attribuons des places que nous avons achetées ou que nous avons reçues. Là aussi, il s’agit d’avoir une action la plus sociale et éducative possible.
L’UNSLL est labellisée Terre de Jeux, ce label valorise l’engagement des acteurs qui font vivre les JOP dans les territoires. Que représente-t-il pour le réseau Léo ?
Ce label Terre de Jeux nous a été attribué lorsque nous avons été lauréats de l’appel à projet Impact 2024 pour notre programme Léo Sport Job. Par ailleurs, dès lors que la France se voyait attribuer l’organisation des Jeux, dits populaires et inclusifs, il n’était pas envisageable de rester spectateurs, surtout lorsqu’on s’inscrit dans l’héritage de Léo Lagrange. Il était important de s’approprier ces jeux pour mettre en avant la richesse et l’importance des activités développées dans nos clubs Léo depuis leur création. A côté de la performance sportive de haut niveau, il existe la performance sociale accomplie au sein de notre fédération. Le label Terre de jeux s’est donc avéré pour nous l’occasion de signifier notre existence et de valoriser nos programmes et nos activités.
Les JOP représentent une grande fête populaire pendant laquelle les valeurs du sport sont mises à l’honneur. Toutefois, certains billets pour assister aux épreuves présentent un coût élevé et en limitent l’accès. Comment se positionnent l’UNSLL et la FLL ?
Là encore, il y a deux aspects dans ces JOP. Celui annoncé et mené par le Comité d’organisation des JOP (COJOP) depuis la candidature de Paris, c’est-à-dire des jeux financés, en partie, par les spectateurs et les sponsors, d’où le coût important de certains billets. Mais il y a aussi la billetterie populaire soutenue par la puissance publique destinée aux plus modestes pour leur permettre d’accéder aux JOP. La FLL et l’UNSLL ont obtenu des places, via ces différents dispositifs pour permettre à leurs publics d’assister à des épreuves. Nous verrons ce qu’il en sera lors du bilan : des JOP populaires et inclusifs ou tournés vers l’élitisme ?
Les équipes de l’UNSLL et de tous les métiers Léo se mobilisent depuis des mois pour amener les JOP dans leurs structures ou amener leurs publics jusqu’aux JOP. Quel message voulez-vous leur transmettre ?
Nous avons voulu faire de ces Jeux un événement pour le sport associatif, inclusif et éducatif au bénéfice de toutes et tous, permettre aux sportifs et pratiquants amateurs de participer, à ces Jeux, avec nos spécificités. Nous sommes des passeurs, des relayeurs qui voulons offrir aux générations futures les meilleures conditions pour s’emparer de la meilleure façon qui soit de la question sportive. Il faudra donc, dans les jours à venir, dépasser la seule question des JOP, et poursuivre la construction d’une offre innovante, agile, au service de l’individu et d’une société émancipée.