Une « consultation poétique », cela semble de prime abord presque relever de l’oxymore. C’est cependant dans la rencontre incongrue entre le monde médical et celui de l’art que cette pratique artistique qui fait dialoguer corps et esprit(s) prend tout son sens. Développées par le Théâtre de la Ville de Paris au moment des confinements de la pandémie de COVID-19, les consultations poétiques, musicales et dansées truffent désormais le programme culturel de la Maison d’arrêt du Val d’Oise. Sept interventions ont pu se tenir pendant l’année 2022 et toucher une soixantaine de personnes détenues.
Une consultation poétique, c’est quoi ?
Le protocole des Consultations conserve les caractéristiques d’un rendez-vous médical : l’intervenant.e doté.e d’une blouse blanche et d’un Vidal vient à la rencontre d’une personne détenue, pendant une vingtaine de minutes, dans une salle d’entretien du secteur socio. S’installe alors une relation qui engendre un espace-temps « autre », destiné à l’écoute de ce qui peut être dit, voué à l’accueil de ce qui veut être confié. Toute émotion est la bienvenue ; même le silence, la gêne, le désintérêt font partie du processus. Hugo Jasienski, comédien et intervenant au quartier d’isolement, témoigne : « C’est pourtant leur tendresse qu’on rencontre surtout. Leur patience. Leur tact. La douceur. Envers à peu près tout… sauf eux-mêmes. » Puis il continue plus loin : « L’autre arrive et se définit spontanément et essentiellement par son erreur passée qui se rappelle à lui au présent et au futur. »
© Illustrations : Anouk El Schahawi
Les séances se ressemblent dans leur déroulement : un moment d’échange aboutissant sur la délivrance d’un poème (caché dans le Vidal), d’une danse ou d’un morceau de musique personnalisés ; aucune consultation n’est identique. Toutes se définissent par la particularité des personnes qui les animent. La légèreté et transposabilité du dispositif a également permis au personnel pénitentiaire d’en bénéficier.
La poésie pour dialoguer
Dans les témoignages rapportés par les intervenant.e.s, le but des Consultations se dessine : établir une intimité nouvelle ; créer une bulle de sécurité où les masquent peuvent tomber et les corps s’exprimer. Même si la naissance d’une telle bulle n’est pas évidente en milieu carcéral, les consultations ne font en fait que révéler ce qui se trouve déjà là, enfoui entre les murs parfois trop hauts, les portes parfois trop lourdes, les pensées parfois trop sourdes. C’est dans les corps mêmes des détenus que sombre une poésie. La consultation vient alors, dans l’écoute et l’échange, doucement la réveiller.
© Illustrations : Anouk El Schahawi
Ce témoignage de Julie Bordas, qui rapporte les paroles de la personne détenue qu’elle rencontre le 15 mai, ne l’exprime que trop bien : « Il ne faut pas trop parler de ses sentiments, sinon on est catalogué. Et puis, par la fenêtre, il y a des ouvriers en gilet orange qui font des travaux sur une aile de la prison. Alors il me dit, c’est ça mon moment poétique, je les vois, moi je travaille dans le bâtiment. Je vois ce qu’ils font, ils sont presque dans le ciel, et sont tous en orange. Ça fait des belles couleurs non ? Alors on regarde la fenêtre, les nuages, on imagine des formes, comme ses enfants font. Il me parle alors de la chaleur du café, le matin dans le bol. Et que s’il se concentre, il imagine qu’il est chez lui, avec ses enfants qui boivent du cacao le matin. Il pourrait presque leur parler tellement il les imagine fort. Et même il voudrait parler à ses codétenus. Mais il ne dit rien. Il est très ému. Moi aussi. On ne parle pas. »
Depuis 2012, Léo Lagrange Nord-Ile-de-France gère la mise en œuvre de la coordination culturelle à destination des personnes placées sous main de justice en Ile-de-France. Elle assure ainsi la programmation culturelle à destination de l’ensemble des personnes détenues en Ile-de-France.