Malika Lemaitre, Benjamin Vasseur et Philippe Roulet sont salarié.es de PREFACE et interviennent en établissement pénitentiaire depuis plusieurs années. Adaptation constante à la diversité des publics, impact des conditions de détention sur leur activité et posture à adopter : il.elles nous racontent leurs missions et leur engagement pour la formation pour tou.tes et partout.
Tou.tes les trois partagent un même rapport avec leur public : il.elles savent l’importance de poser un cadre dès le début et de créer les conditions de cohésion du groupe, autant que possible et ce, malgré le turn-over inhérent à la formation en détention. Philippe est formateur d’agent de maintenance des bâtiments à la maison d’arrêt de Périgueux (24) depuis six ans : « moi j’ai une qualité de travail que j’ai instauré et je suis très bien intégré à la maison d’arrêt. J’ai imposé des règles et je les fais respecter tout en étant respecté. Quand je leur demande quelque chose, je suis correct avec eux, je les respecte. Et cela fonctionne. »
Turn-over important des stagiaires et public très hétéroclite : l’adaptation en permanence
Les règles sont d’autant plus importantes que les formateur.rices ne travaillent jamais avec une promotion de stagiaires fixe qu’il.elles vont conserver toute la durée de la session. Malika est chargée d’accompagnement à la maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Nantes (44), elle gère des entrées et sorties permanentes. Elle anime deux formations : la Plateforme de remobilisation et d’évolution personnelle (PREP) pour les femmes détenues et Pass’Sport pour les jeunes hommes de 18 à 25 ans. S’agissant de PREP, elle précise : « j’ai des stagiaires de 18 à 60 ans, certaines sont incarcérées juste pour quelques mois, d’autres attendent un jugement pour crime avec des peines potentielles de 20 ans. Donc l’objectif pour chacune n’est pas le même. Les jeunes femmes sont souvent très dynamiques alors que les femmes plus âgées sont abîmées par la vie et en perte totale de confiance en elles. »
Benjamin est formateur en horticulture dans une maison centrale sécurisée pour des longues peines, de 20 à 30 ans. Pourtant, il connaît aussi un turn-over important pendant la formation de dix mois qu’il dispense : « Pour présenter six stagiaires à l’examen, j’aurai eu seize personnes différentes pendant la session. C’est lié au monde carcéral : transfert au quartier disciplinaire pour problèmes de comportement, ou en centre psychiatrique par exemple. Soit ils reviennent plus tard soit ils reviennent l’année suivante. »
Benjamin, Malika et Philippe vivent cette même contrainte : devoir dispenser une formation à un collectif de stagiaires très hétéroclite et mouvant. Il.elles doivent constamment s’adapter, travailler en petits groupes ou reprendre certains contenus en individuel. Il.elles doivent également gérer des profils de détenus qui ne veulent pas se côtoyer, Benjamin raconte : « quand j’ai trop de stagiaires condamnés pour des affaires de mœurs, ceux qui se revendiquent braqueurs ne veulent pas intégrer la formation. »
L’impact constant de la détention sur la formation
Qu’il s’agisse de l’attente des jugements ou du quotidien du lieu, la détention impacte tous les jours les formations et le comportement des stagiaires. L’annonce d’une condamnation, une mauvaise nuit à cause de co-détenu.es bruyant.es ou tout simplement l’enfermement, Benjamin, Malika et Philippe détectent très vite que leurs stagiaires ne se sentent pas bien et anticipent instantanément l’ambiance pour la journée. Malika déplore « parfois nous parvenons à leur faire oublier quelques heures leur situation, parfois non et ils ne sont alors pas du tout disponibles pour suivre ce que nous faisons. » Idem pour Benjamin : « Le matin, ils n’arrivent pas de chez eux, ils arrivent de leur cellule. Tout ce qui se passe en coursive impacte la formation. Certains jours ils sont très énervés, je dois vite adapter mon programme. »
Un métier gratifiant et exigeant : être authentique et ne pas juger les personnes incarcérées
Malgré les nombreuses contraintes liées au monde carcéral, ces professionnel.les sont tou.tes d’accord pour dire que leur travail est gratifiant et il.elles apprécient la relation qu’il.elles ont avec leurs stagiaires. Pour Malika « Ils sont un peu bruts mais plus authentiques, ils disent ce qu’ils pensent et j’apprécie ces rapports ! ». Philippe estime qu’il est indispensable « de faire du social, d’être à leur écoute. ». Les stagiaires lui parlent, ont parfois besoin de se confier : « parfois ils viennent me remercier, me disent qu’ils ont beaucoup apprécié ce qu’ils ont fait en formation. C’est extrêmement valorisant. »
Toutefois, n’est pas formateur.trice en prison qui veut ! Malika se rappelle de formateur.rices qui n’ont pas tenu, ne supportaient pas l’enfermement ou d’être face à certains auteurs de crimes. « Nous avons des femmes incarcérées pour infanticide. Il faut faire la part des choses, nous devons écouter et ne pas être dans le jugement. ».
Philippe prévient : « il ne faut surtout pas arriver en terrain conquis ! Il faut rester humble et ne pas avoir d’appréhension. Sinon, il ne faut pas essayer ! » Malika partage son avis : « Nous devons être nous-mêmes, les personnes détenues sont clairvoyantes. Elles voient vite les failles et ça peut alors mal se passer pour le formateur. »
Il.elles ont tou.tes les trois des publics abîmés par la vie et l’enfermement, avec un manque cruel de confiance en eux et peu d’autonomie. Pour Benjamin, l’une des qualités principales dans son métier est la patience : « je ne peux pas m’énerver. Si une tâche n’est pas faite, on le fait ensemble. Il faut en permanence encourager et féliciter. »
Le maintien de la dignité humaine des détenu.es
Qu’il s’agisse de formations techniques ou de développement personnel, d’insertion professionnelle ou de socialisation et d’amélioration du quotidien des détenu.es, l’apprentissage tout au long de la vie, pour tou.tes et partout, est au cœur du projet associatif de PREFACE et du réseau Léo. Benjamin observe avec ses stagiaires pour lesquels l’insertion professionnelle n’est en général pas un objectif : « au bout de trois mois, je constate les effets de la formation. Ils vont moins au quartier disciplinaire, ils consomment moins de médicaments, ils se lavent davantage et mangent les légumes du jardin. La formation change leur hygiène de vie. »
La formation et l’apprentissage pour tou.tes et partout font partie intégrante du maintien de la dignité humaine. Même pour une personne qui passera trente années de sa vie incarcérée.
Pour en savoir plus : Preface