Marie Deaucourt est coordinatrice culturelle au centre de détention de Melun (77) depuis 2018 et salariée Léo depuis 2022. Issue d’un parcours au sein d’institutions culturelles, elle est arrivée dans l’univers carcéral par intérêt et curiosité intellectuelle, tout d’abord dans le cadre de son Master en sciences de l’éducation. Passionnée par la richesse du collectif et la complexité humaine, Marie implique régulièrement les détenus, aussi bien dans sa recherche que dans la programmation culturelle. Rencontre !
Des expériences en musée, dispositif socioéducatif et un CIFRE avec le SPIP de Melun
Pendant plusieurs années, Marie a travaillé au service des publics au sein de musées : elle mettait en place des parcours guidés pour les publics éloignés. La professionnelle a ensuite choisi de se réorienter dès 2012 et a coordonné le programme réussite éducative (PRE) dans une commune de l’Essonne pendant 6 ans : « je voulais travailler dans le social et dans le cadre du PRE, je collaborais avec de nombreux acteurs socio-éducatifs, du sanitaire et social, de la PJJ et culturels. J’organisais des parcours individualisés pour chaque enfant, afin de répondre à leurs besoins. »
En parallèle, Marie s’inscrit en Master sciences de l’éducation et réalise son mémoire sur les activités culturelles en prison. C’est le début d’une nouvelle étape professionnelle : « la faculté m’a proposé de poursuivre en thèse, j’ai alors obtenu un CIFRE, une convention de formation par la recherche, avec le SPIP. J’ai été embauchée par l’association qui assurait à l’époque la coordination culturelle au centre pénitentiaire de Melun. » Sa thèse et son CIFRE démarrent en 2019, pour 3 ans et porte sur les recompositions identitaires en longue peine, via une approche narrative et de sociologie clinique.
La pratique culturelle et artistique pour se sentir légitime et ouvrir de nouveaux horizons
Le CIFRE permet donc à Marie d’allier un emploi et sa thèse, son emploi étant directement lié à son sujet de recherche et lui permet d’avoir accès à son terrain d’investigation. En tant que coordinatrice culturelle, elle met en place des activités collectives avec les arts plastiques, le théâtre, la musique, les arts graphiques, mais aussi la culture scientifique qui produit des objets culturels également. « Ces savoirs et connaissances, rencontrés et acquis grâce aux activités culturelles, sont négociables socialement. Ils permettent de revaloriser les personnes détenues et contribuent à leur socialisation et réinsertion. Cela les aide à se sentir légitimes, à en parler et à se rendre dans ces espaces culturels où auparavant tous n’auraient pas osé se rendre », détaille la professionnelle.
Les personnes détenues à Melun sont incarcérées pour de longues peines, une routine s’installe donc rapidement. Les activités culturelles proposées ne doivent pas seulement les faire sortir de leur cellule, « nous devons donner du sens aux activités, elles doivent les faire grandir, leur ouvrir de nouveaux horizons » poursuit Marie.
Pour établir la programmation culturelle, la coordinatrice observe et échange avec les personnes détenues. Elle participe régulièrement aux stages et ateliers, identifie ceux qui réitèrent leur participation à certains types d’activités et les incite à aller plus loin : « je crée du lien avec eux pendant les ateliers, je leur propose de nouvelles activités. Souvent ils n’osent pas, pensent que ce n’est pas pour eux. »
Sans contrainte, pas de créativité !
L’environnement carcéral est très contraignant et codé. Si Marie peut s’appuyer sur le SPIP, la psychologue de l’établissement et le centre scolaire, le cadre imposé pour des raisons d’ordre et de sécurité exige beaucoup d’anticipation, d’adaptation et de compréhension des codes : « le matériel, les intervenants, les thématiques, la disposition de la salle d’activités : tout doit être validé par l’administration. Surveillants, personnels administratifs, intervenants : chacun a sa place et ses espaces autorisés. Il y a aussi des mots non autorisés. Par exemple, nous ne pouvons pas appeler un surveillant par son prénom devant les personnes détenues. » Mais Marie comprend ce cadre qui protège tout le monde et relativise : « sans contrainte, il n’y a pas de possibilité de créativité ! »
La force du collectif et les groupes d’implication et de recherche
L’un des moteurs de la professionnelle : le collectif. « L’humain est d’une complexité, d’une richesse phénoménale ! » s’enthousiasme-t-elle et abonde : « le format collectif recèle des dimensions qui continuent à me questionner et sur lesquelles je m’appuie. » En effet, pendant sa thèse, Marie a mobilisé des personnes détenues et souhaite continuer dans ce sens. En sociologie clinique, le.la chercheur.euse travaille avec des groupes d’implication et de recherche : l’intervenant.e et les participant.es sont tou.tes partie prenante des hypothèses et questions posées.
Des groupes de personnes détenues étaient volontaires pour découvrir le musée du Quai Branly, au cours de 6 séances en 2022. A l’issue de ce cycle, un groupe de 8 participants s’est engagé à travailler avec Marie sur le programme 2023 et poursuivre le partenariat avec cette même institution culturelle.
Les apports des activités culturelles en prison sont multiples : découverte de soi, de nouveaux univers, rencontres avec d’autres personnes détenu.es et des artistes, dépasser ses propres limites et zones de confort. La considération de l’humain est au cœur de l’engagement professionnel de Marie : « nous ne sommes pas à Léo pour rien ! Nous travaillons tous avec de l’humain, c’est dans cette relation que trouvons les ressorts de notre action, notre énergie. Et pour la considération de chacun en tant qu’humain ». Où qu’il.elle soit. En prison ou à l’extérieur.