Cette tribune a été publiée sur le site du Monde
Le secteur de la petite enfance traverse une crise profonde depuis des années, aggravée par des politiques publiques inadaptées. Malgré l’ambition affichée de fonder une politique publique de la petite enfance digne de ce nom et d’un comité de filière dédié, les difficultés persistent. L’enquête parlementaire de mai 2024 et divers ouvrages journalistiques ont révélé des dysfonctionnements structurels qui mettent en danger la qualité d’accueil des enfants.
Un modèle à la dérive : les effets d’une dérégulation excessive
Depuis l’ouverture complète du marché dans les années 2000, des entreprises à but lucratif ont pris le contrôle d’une part importante de l’offre de garde d’enfants, représentant désormais 33 % du secteur. Ces groupes, motivés par la rentabilité, bénéficient de crédits d’impôts et d’un manque de régulation. Leur expansion a contribué à sacrifier la qualité de l’accueil au profit de la rentabilité.
L’introduction d’un modèle de financement fondé sur l’heure de présence des enfants, combinée à une logique d’optimisation maximale du taux d’occupation des berceaux, a exacerbé cette dérive. Les professionnels fuient cet environnement qui s’éloigne de la mission éducative.
Défendre le modèle associatif : un engagement pour les enfants, les familles et les territoires
Les crèches associatives, ancrées dans l’économie sociale et solidaire, sont des piliers d’un accueil de qualité. Elles réinvestissent leurs bénéfices dans leurs projets, offrant plus qu’une simple garde d’enfants. Elles accompagnent les parents, renforcent les liens familiaux, et créent un espace où les enfants peuvent s’épanouir en toute sécurité. Ce modèle, qui favorise la coéducation, est essentiel pour garantir un développement harmonieux des enfants, en particulier dans les territoires les plus vulnérables. Il est incompréhensible que ce modèle éprouvé ne bénéficie pas de plus d’attention de la part des politiques publiques.
Une réponse politique nécessaire
La création d’un véritable service public de la petite enfance, promis par les pouvoirs publics, doit enfin voir le jour. Ce service, vecteur d’égalité, doit répondre aux besoins de tous les enfants, quel que soit leur milieu social ou géographique. La France accuse un déficit de 200 000 places en crèche, une pénurie qui frappe particulièrement les quartiers prioritaires et les zones rurales. Cela implique des choix volontaristes et éclairés pour redresser un secteur en difficulté, tout en tenant compte de la nécessité d’investir dans des formations de qualité, même si celles-ci s’avèrent souvent longues et coûteuses.
La solution réside dans une coopération renforcée avec les collectivités territoriales, responsables de la mise en œuvre de ces politiques. Les collectivités territoriales doivent également revoir leurs pratiques : il est possible de sortir du dogme du moindre coût, en privilégiant des modes de financement et des contrats qui soutiennent les gestionnaires, notamment associatifs, plutôt que les actionnaires.
Un engagement pour les 1000 premiers jours : un enjeu éducatif crucial
Les 1000 premiers jours de la vie sont décisifs pour le développement cognitif, émotionnel et social de l’enfant. Garantir un cadre protecteur et stimulant pendant cette période est essentiel pour combattre les inégalités et assurer un avenir équitable. Les enfants méritent mieux qu’un système devenu nocif. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics, des collectivités, et des acteurs de la petite enfance de construire un modèle vertueux, fondé sur la qualité, la solidarité et l’égalité.
Investir dans la petite enfance n’est pas un luxe, mais une nécessité éducative et sociétale. Soutenir collectivement la petite enfance, c’est assurer l’avenir de notre société. Comme le disait Maria Montessori, « L’enfant est à la fois un espoir et une promesse pour l’humanité. » C’est dans le berceau que se joue notre capacité à évoluer et à construire un monde meilleur.