Lorsqu’un décès survient dans le cercle familial ou amical, il n‘est pas toujours facile de trouver les mots pour en parler avec votre enfant. Pourtant, s’exprimer sur cet événement et l’aider à accueillir ses émotions est capital pour qu’il puisse, comme vous, comprendre et faire son deuil. Alors comment évoquer le décès d’un proche avec lui ? Y a-t-il des âges en-dessous desquels l’on doit éviter certains sujets ? Faut-il les associer aux rituels funéraires ? On fait le point avec Marie Bigourdan-Brouard, médecin et musicothérapeute.
Quelle compréhension de la mort peut avoir un enfant selon son âge ?
Chez les tout-petits, entre 0 et 6 ans, il n’y a pas de compréhension de ce qu’est la mort. Ils vont souffrir de l’absence de la personne mais sans comprendre les raisons de cette disparition. Ils ne vont pas pouvoir intégrer ce que ça veut dire sur le long terme : le quotidien de l’enfant va être impacté mais la mort ne va pas être mentalisée.
À partir de sept ans, les enfants sont capables de comprendre que la personne ne reviendra plus. Ils vont passer par des étapes de deuil, proches de celles des adultes, et qui ont été décrites par la psychiatre Élisabeth Kübler-Ross : le déni, la colère, le marchandage (une négociation avec soi-même : « si je suis gentil/si je ne fais pas de bêtise, alors untel va revenir ou ne va pas mourir »), la dépression puis l’acceptation.
Ces étapes ne sont pas linéaires : on passe de l’une à l’autre dans le désordre. Le panel des émotions rencontrées par l’enfant peut lui aussi être vaste et fluctuant : colère et tristesse, mais aussi regrets, culpabilité, choc, soulagement, impuissance, peurs, manque, honte, désespoir, jalousie, découragement, perte de la joie de vivre.
Quand il traverse ces étapes, il y a des choses que parfois, l’enfant n’ose pas dire. Il est important d’être à l’écoute de tout changement de son comportement. Sa manière d’exprimer son mal-être est vaste et il est très important de saisir les perches qu’il peut lancer, de profiter de toute occasion de dialoguer. Cela ne survient pas toujours quand l’adulte s’y attend.
À cet âge-là, il arrive que les enfants posent des questions très concrètes qui peuvent mettre mal à l’aise les adultes : qu’est-ce qui se passe dans le corps quand il est enterré ? Certains veulent savoir concrètement ce qu’est la décomposition du corps et comment cela se passe pour que le corps redevienne terre et poussière. Si l’espace de dialogue est bien établi, l’enfant posera directement les questions qui l’inquiètent… Là aussi, aux adultes d’être prêts à y répondre en toute simplicité !
L’adulte peut être un peu pris de court, mais il ne faut pas qu’il ait peur de répondre. Si on ne répond pas à ses questions, l’enfant va se faire une construction erronée : ce qui n’est pas dit va être fantasmé.
À partir de 11-12 ans, les adolescents vont avoir une compréhension de la mort similaire à celle des adultes. La compréhension n’est donc pas la même selon les âges et le deuil de l’enfant est complexifié par sa représentation changeante de ce qu’est la mort.
Comment trouver les bons mots avec les 7-12 ans ?
Comme pour tous les sujets, la communication et le dialogue priment. Il faut faire confiance à l’enfant, il a des ressources pour affronter cette épreuve. On peut dire simplement : « telle personne est morte » et répondre à ses questions.
C’est très important que les choses soient claires et dites avec précision. Par exemple, on a tendance à utiliser des expressions comme « monter au ciel », « disparaitre » ou « partir ». Attention aussi à l’expression « il s’est endormi », génératrice d’angoisse : s’endormir n’est pas mourir, et il est important d’expliquer la différence (quand je dors, je bouge, je respire, mon cœur bat) sinon l’enfant peut avoir peur de dormir.
Ces allégories viennent spontanément car on n’est pas à l’aise avec le décès de la personne et on va les utiliser pour s’apaiser et pour apaiser son enfant.
Si l’adulte les utilise, alors il doit s’assurer de la compréhension de l’enfant, car sinon, le risque est que l’enfant se sente trahi le jour où il réalisera par lui-même la nuance. On doit en discuter avec lui : « est-ce que tu as bien compris ce que ça voulait dire, “monter au ciel ” » ? On peut expliquer que les adultes utilisent ce vocabulaire car ils sont tristes, mais que ce sont des images.
La pensée magique est encore présente chez les enfants, donc il peut imaginer prendre une échelle pour monter dans le ciel et retrouver la personne. Il peut aussi penser qu’il est observé par la personne défunte. L’adulte doit bien préciser ce que ça veut dire pour lui : que la personne est toujours présente dans notre cœur, qu’on est porté par son amour, par exemple, mais qu’elle n’est pas « vraiment » dans le ciel, qu’elle ne peut pas nous voir. Ou qu’elle n’est pas « partie », dans le sens où elle ne va pas revenir.
Les émotions de l’enfant vont parfois se manifester de manière différente de celles des adultes. Il peut reporter sa colère contre ses parents par exemple. Ou alors dire des choses dures comme « de toute façon, je ne l’aime plus » en parlant de la personne décédée. Les enfants n’ont pas la même capacité à exprimer ce qu’ils ressentent. On peut alors tenter de formuler à leur place. Par exemple : « si tu dis ça, c’est parce que tu es triste ? » L’enfant va pouvoir répondre par oui ou non, ce qui est plus facile.
Autre point, quand un décès survient dans la famille, tout le monde se sent coupable de quelque chose et les enfants n’‘y échappent pas. Un auteur de BD raconte ainsi dans son ouvrage que son frère est resté quarante ans avec l’idée qu’il était responsable de la mort de leur petit frère, survenue accidentellement, car il avait pensé dans sa tête : « je voudrais qu’il meure ». L’enfant peut se dire que la personne est décédée parce qu’il a été méchant, ou parce qu’il a fait telle ou telle chose. Prenez donc le temps de lui dire : « il est mort et ce n’est la faute de personne ».
Enfin, les livres peuvent aussi être d’un grand soutien pour permettre à l’enfant de comprendre ce qui lui arrive.
Quelle place donner à l’enfant pendant les funérailles ?
C’est important de lui proposer de participer à tous les temps du rituel : la cérémonie, l’enterrement, etc. Si c’est un temps qui aide le cercle familial à faire son deuil, cela va aussi aider l’enfant. À l’inverse, il peut se sentir exclu ou non digne de confiance, voire abandonné si on ne lui propose pas d’y assister. Il peut avoir des appréhensions, et là encore c’est important de pouvoir en parler, de lui expliquer comment cela se passe et de l’aider à comprendre pourquoi certaines choses lui font peur, si c’est le cas.
S’il ne veut pas y aller, on peut lui proposer d’être là d’une autre manière : donner un dessin à poser sur le cercueil, choisir une chanson, etc.
Si la famille va voir le corps du défunt, on peut lui proposer de venir aussi : il n’y a aucun problème pour un enfant à aller voir le corps d’une personne décédée si les adultes qui l’entourent sont à l’aise avec cela. L’important, c’est de s’assurer que l’environnement soit soutenant pour l’enfant : n’hésitez pas à disposer des photos, des objets, à apporter des friandises, mettre de la musique, chanter ensemble pour créer, malgré tout, un environnement chaleureux.
Comment gérer sa propre tristesse, notamment au moment du décès des grands-parents de l’enfant ?
Si on est triste, on peut le verbaliser pour l’enfant : pleurer devant lui va aussi lui donner l’autorisation de le faire. Et c’est aussi très modélisant : il va observer la manière dont vous gérez vos émotions, ce qui va l’aider à accueillir les siennes.
L’enfant peut aussi avoir besoin de s’échapper un temps du cadre familial pour souffler : aller passer l’après-midi chez un ami par exemple. Mais le plus souvent, les enfants de cet âge souhaitent rester avec leur famille dans ces moments-là.
Comment gérer le deuil sur le long terme ?
Là encore, les rituels vont nous aider. On peut semer des graines ou planter un arbre quelque part et aller voir régulièrement comment il pousse. On peut faire un livret de deuil où l’enfant va coller des photos, écrire les souvenirs des moments partagés avec la personne, faire un dessin pour l’anniversaire de la personne ou l’anniversaire de sa mort, etc. Il ne faut pas hésiter à être créatif !
Marie Bigourdan-Brouard est médecin. Elle a travaillé en EHPADs, en soins palliatifs et auprès de personnes polyhandicapées. Elle termine actuellement sa formation de musicothérapeute et prépare un livre sur les représentations de la mort chez l’enfant.
Les ressources éducatives pour accompagner votre enfant :
Pour les parents :
La traversée des pays du deuil, guide pour échanger avec un enfant ou un jeune en deuil, de Muriel Derome
Parler de la mort avec les enfants, supplément parent du magazine Pomme d’Api
Pour les enfants :
L’ours et le chat sauvage, de Kazumi Yumoto
Au revoir M. blaireau, de Susan Varley
À découvrir
La vie, la mort, on en parle, un portail créé par la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs pour évoquer la fin de vie avec les enfants et adolescents