Les 1er et 2 juin, à Artigues-près-Bordeaux (33), plus de 100 professionnel·les jeunesse et adolescence se sont retrouvé·es à Campus Atlantica, pour deux jours de convention. Après une édition 2022 portant sur la santé mentale des jeunes et adolescent·es, la thématique retenue pour l’année 2023 était « Vie affective et sexuelle des jeunesses » : un sujet aux approches plurielles et multidisciplinaires, et très actuel.
2/3 des enfants de moins de 15 ans ont déjà été exposé·es à des images pornographiques. En 2021, les violences à l’égard des personnes LGBTQI+ ont augmenté de 28%. À peine 15% des élèves bénéficient au cours de leur scolarité des trois séances d’éducation affective et sexuelle rendues obligatoires par la loi de 2001. Alors que faire ? Comment accompagner au mieux les questionnements des jeunes qui, faute de temps d’information formels et par soucis de pudeur avec leur entourage familial, s’informent désormais majoritairement par internet, et au contact de leurs ami·es ? C’est l’une des questions auxquelles ont voulu répondre les professionnel·les de l’animation jeunesse du réseau Léo Lagrange. Pendant deux jours, tables rondes, temps informels et ateliers thématisés se sont enchainés pour outiller au mieux les animateur·rices.
L’éducation populaire a toute sa place !
Dans leur posture particulière qui n’est ni celle d’un parent, d’un proche ou encore d’un enseignant, les professionnel·les de l’éducation populaire tiennent un rôle primordial dans le développement des jeunesses qu’ils côtoient et accompagnent. Lucile, animatrice à Salins-les-Bains (39), et participante à la convention 2023 témoigne par exemple : « Les jeunes de 11 à 17 ans que j’accueille se posent énormément de question. Comme je les connais bien, depuis longtemps, et que j’ai leur confiance ; ils n’ont pas de problème à m’en parler. » Il ne s’agit pas de faire à la place des personnels éducatifs ou des parents, mais bien de faire avec, en complémentarité. Cette confiance souvent donnée par les jeunes ouvre la voie à des temps de discussion et de partage sur des sujets redoutés et tabous avec les adultes, parmi lesquels la vie sexuelle, les relations amoureuses, l’orientation sexuelle, le rapport au corps, et le respect des autres.
Myriam Baata est conseillère technique en promotion de la santé à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, et infirmière de formation. Après avoir travaillé au sein d’une fédération d’éducation populaire puis dans l’éducation nationale, elle a rejoint la PJJ et est à même d’évaluer l’importance d’une collaboration entre les différents acteurs sur la question de l’éducation affective et sexuelle des jeunesses. « Comme le dit l’adage, il faut un village pour éduquer un enfant. » explique-t-elle, et Adel, animateur à Montbéliard de renchérir « C’est super important qu’il y ait une multitude d’acteurs pour aborder ces questions. »
Margot Déage, sociologue et auteure du livre « À l’école des mauvaises réputations » considère elle également l’engagement nécessaire des professionnel·les de l’animation sur ces thématiques : « Le temps scolaire a peu de temps à offrir aux jeunes, parce qu’ils sont là pour apprendre le rôle d’écolier, à respecter des temps très serrés et finalement on a peu de temps qui permettent de créer un vrai dialogue. Tous ces professionnels autour de l’école peuvent offrir des espaces de paroles qui peuvent remotiver, rebooster des élèves qui ont perdu confiance en eux via des activités culturelles, sportives ou tout ce que peut offrir l’éducation populaire »
Alimenter et requestionner ses pratiques
Alors écouter, sensibiliser, ouvrir le dialogue et en parler, oui ! Mais de quelle manière exactement ? Pour beaucoup des professionnel·les de la convention, aborder ces différents sujets avec leurs publics peut être difficile, soit parce que les jeunes ont déjà des idées très tranchées, parfois discriminatoires et ne savent pas les requestionner, ou bien encore par peur de l’animateur·rice de ne pas employer les bons mots, ou d’aborder le sujet au mauvais moment, comme l’explique Olivier, professionnel de Dijon : « On est légitimes pour aborder ces questions, mais il peut y avoir des craintes. »
Pour permettre à nos professionnel·les de dépasser leurs appréhensions, d’échanger sur leurs expériences et de requestionner leurs postures, la convention a été organisée en différents temps d’information, de partage et de pratique ! « Ce que je viens chercher dans les conventions, c’est l’échange de pratiques, et partager avec d’autres professionnelles des réalités de terrain ; retrouver des gens qui vivent les mêmes réalités que moi » explique Fanny, animatrice à Noguès (Paris 14).
La convention s’ouvre sur une table ronde dont l’objectif est de dresser un état des lieux de la vie affective et sexuelle des adolescentes et jeunes, au travers de différents prismes. Myriam Baata, s’attache d’abord à définir les termes de vie et santé sexuelles et affectives, et à repositionner leur construction dans les différents stades de la vie et de l’éducation de l’enfant : « L’apprentissage de la sexualité est l’apprentissage d’une culture, d’un système de référence que le jeune se construit tout au long de son enfance, et à tout âge. » conclut-elle.
Après un temps de questions-réponse, elle passe le micro à Anne Dugast, ancienne athlète professionnelle et entraineuse de la filière de haut-niveau en tennis, cette dernière est désormais Conseillère Sport à la DRAJES (Délégation régionale académique Jeunesse Engagement et Sport). Elle est prioritairement engagée dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, et est venue partager son expertise aux professionnel·les Léo Lagrange. Comment repérer des signaux faibles ? Quels sont les lieux à risques ? Comment accompagner une victime et quelles peuvent être les procédures à suivre ? Autant de clés données aux animateur·rices qui peuvent être concernés au sein de leur espace professionnel. Pour finir la table ronde, Ludivine Demol, chercheuse doctorante a développé un troisième sujet « Défendre des droits et éduquer : pour des vies affectives et sexuelles autonomes, en sécurité et joyeuse. »
Pour chacun des sujets abordés, questions et réflexions fusent dans la salle : les professionnel·les reviennent sur des expériences vécues, demandent conseil et se repositionnent, car la posture de l’adulte encadrant est centrale. Les discussions se poursuivent le lendemain lors de quatre ateliers participatifs organisés en petits groupes.
Amélie Guibert, cheffe de pôle régionale du Défenseur des Droits (Nouvelle-Aquitaine) anime avec Delphine Desgre de l’Union Nationale Sportive Léo Lagrange l’atelier « Savoir protéger les droits fondamentaux des jeunes ». Elle revient sur son expérience auprès des animateur·rices : « J’ai retrouvé plusieurs animateurs déjà rencontrés l’année dernière et j’ai senti qu’ils étaient très intéressés, j’en ai plusieurs qui sont venus me voir à la fin pour me poser des questions sur des situations qu’ils ont rencontrées, j’ai senti beaucoup de réflexions, de rétrospectives sur leurs pratiques professionnelles, des interrogations positives pour savoir s’ils faisaient les choses de la bonne manière. […] On a fait en sorte que ce soit eux qui apportent la matière première. Ils ont échangé, confronté leurs idées, ils n’étaient pas toujours d’accord, c’était très riche. »
Margot Déage, qui a échangé avec les participant·es sur la construction des réputations chez les jeunes témoigne quant à elle en ces termes : « En atelier j’ai eu la sensation d’avoir des professionnels très participatifs qui me faisaient part de leurs questions, de leurs doutes…on a pu vraiment avoir un temps pour réfléchir ensemble. Ce format qui croise du théorique, du convivial et du participatif était très intéressant parce qu’on pouvait aller loin dans la réflexion collective. »
Une envie partagée de s’emparer du sujet
Si la participation et l’échange de pratiques étaient au cœur de la convention, c’est en cohérence avec le projet pédagogique de Léo Lagrange, par soucis de requestionner en permanence nos pratiques pour s’adapter aux évolutions de la société. Par le partage de pratiques, les professionnel·les se repositionnent dans leurs postures et les requestionnent pour rester toujours en adéquation avec les besoins de leurs publics. Au sortir de la Convention, les participant·es partagent un enthousiasme revigorant : Camille, animatrice venue de Nantes a « repéré plein d’outils hyper intéressants que je vais pouvoir utiliser au quotidien. Je me rends compte que beaucoup de ressources existent déjà, il faut juste savoir aller les chercher et les mobiliser. Je sens que les animateurs sont tous très intéressés par ce sujet, qu’ils sont déjà bien informés, et qu’ils sont en recherche d’encore plus d’outils » Florian, directeur du pôle jeunesse du Bignon explique quant à lui être « très curieux et inspiré par le thème de cette convention. Pas besoin d’avoir des compétences et d’être un professionnel, pour juste écouter et libérer la parole, poser les bases d’une discussion saine sur le sujet. Ça me donne envie de tester plein de choses. »
De ces volontés naîtront sans nul doute de nouvelles pratiques à l’initiatives des professionnel·les Léo, à l’image du jeu de carte créé par deux professionnelles de Nantes « Le Q entre deux lettres », ou les formations et temps d’information animés par les pôles engagement de la Fédération. Ce sont sur les actions menées par les pôles engagement Léo Lagrange Ouest et Sud-Ouest que s’est d’ailleurs conclue la convention : ces derniers mènent différentes actions de sensibilisation à la vie affective et sexuelle en milieu scolaire ou bien en direction des jeunes participants aux promos 16-18 de l’AFPA. Des ressources déjà disponibles pour toutes celles et ceux qui souhaitent s’en saisir, et qui ouvrent la voie à de nouvelles réflexions et échanges avec les jeunes accueillis par nos structures adolescence (Hub Léo) et jeunesse (Alphaléo).
La vie sexuelle et affective des jeunesses restera l’un des sujets constants que devront traiter les professionnel·les de l’éducation populaire. Laissons le mot de la fin à Ludivine Demol, laquelle conclut : « L’éducation populaire est pour moi la façon d’aborder la question de la vie sexuelle et affective, parce qu’il y a cette notion de dé-hiérarchisation dans l’éduc pop, et donc de permettre aux jeunes de s’emparer des questions et de réfléchir sur cette thématique. L’une des missions de l’éduc pop c’est de dé-hiérarchiser et de transmettre des outils pour qu’ils puissent s’en saisir et produire du savoir par eux-mêmes. » Éclairer les questionnements, sans se substituer aux réflexions personnelles et intimes d’un·e jeune, n’est-ce pas là la clé d’une adolescence heureuse ?